21/03/2022 - Le Populaire du Centre
COMMÉMORATION Le 19 mars 1962,
Le cessez-le-feu de la guerre d’Algérie est entré en vigueur 60 ans après, continuer à se souvenir
Ce 19 mars, Jour du souvenir et du recueillement, une commémoration a lieu au square Haviland, à Limoges, à 11 heures. D’anciens combattants limougeauds en Algérie témoignent.
« Il y a autant de guerres d’Algérie que d’individus l’ayant vécue. » C’est par ces mots que le Limougeaud Jean-Pierre Gaildraud, chef de harkis (*) durant le conflit en Algérie et auteur de onze ouvrages sur le conflit en Algérie, tente d’expliquer la complexité de la mémoire de cette guerre.
La question de la commémoration se pose notamment pour les appelés du contingent, anciens combattants provenant de la société civile, qui tendent désormais à disparaître.
Réminiscences du passé
Ces appelés étaient de jeunes hommes ayant terminé leurs études, tout du moins au début du conflit. Dès 1959, l’ensemble d’entre eux est enrôlé. C’est ainsi que le professeur d’histoire Jean-Pierre Gaildraud s’engage.
Jean-Louis Beullé, président de la Fédération nationale des anciens combattants d’Algérie (Fnaca) de Limoges, se souvient lorsqu’il avait 22 ans en 1960. « Imaginez-vous quitter votre terre limousine pour la première fois, descendre à Marseille, monter à bord d’un bateau et arriver sous le soleil brûlant d’Alger… Tout ce que nous savions alors c’est que nous allions défendre les colonies ».
Francis Barret, ancien appelé, devenu président de la Fnaca de Landouge en 1974, se remémore à son tour. « J’ai passé 26 mois et 27 jours en Algérie après avoir réalisé mes classes à Bordeaux. J’étais chef de pièce. J’avais une équipe de cinq hommes sous mon commandement, dont deux harkis. Nous avions un fusil-mitrailleur pour toute la section. C’était une vie de ration. Cigarettes, timbres et savons étaient fournis, mais nous n’avons touché aucun solde les dix-huit premiers mois de notre service ».
« Pas les mots pour expliquer ». La guerre d’Algérie, on l’apprend à l’école et au travers des livres, mais qu’en est-il de la mémoire de ceux qui y ont pris part ?
Aujourd’hui, selon Jean-Louis Beullé, il n’y a plus que 320 adhérents à la Fnaca de Limoges.
Les Fnaca existent car à leur retour de la guerre, les appelés du contingent ont voulu faire valoir leurs droits. Ils ont aussi pu partager des souvenirs. Mais, de l’aveu de Jean-Pierre Gaildraud, « au retour, il n’était pas question de parler de ce que nous avions vécu. Personne n’était disposé à nous écouter et nous étions en plein dans ce que nous appellerons plus tard les Trente glorieuses. Nous étions comme avalés par la société de consommation ».
Jean-Louis Beullé abonde : « on n’avait pas les mots pour expliquer les événements et nos familles ne nous reconnaissaient pas. C’est ce que j’ai ressenti dès ma première permission après un an de service là-bas. Les blessures psychologiques ne se refermeront de toute façon jamais ».
Francis Barret évoque quant à lui la commémoration du 19 mars avec émotion : « c’est pour nous une journée marquante, que l’on tente de sauvegarder pour parler de cette guerre qui n’avait pas de nom. On veut que l’on continue à se souvenir de nos camarades, qu’ils ne tombent pas dans l’oubli. On souhaite surtout éviter que l’histoire se répète ».
Une date qui ne fait pas l’unanimité
François Hollande en 2012, alors président de la République, fait du 19 mars le Jour du souvenir et du recueillement. Date qui acte le début du cessez-le-feu, au lendemain de la signature des accords d’Évian. Cette date n’est cependant pas reconnue par plusieurs parties prenantes du conflit, comme les militaires ou encore les pieds-noirs. Jean Carpentier, à la tête de l’Union nationale des combattants de Haute-Vienne, qui représente les militaires de carrière, se refuse à reconnaître cette journée en raison notamment des massacres perpétrés par la suite : « le 19 mars marque la défaite politique de la France malgré la victoire militaire de ses forces armées ».
Pour Jean-Pierre Gaildraud, l’unique date pouvant faire consensus est le 18 octobre, « lorsque les événements d’Algérie sont reconnus comme guerre ».
De cette complexité mémorielle résulte une certitude : tous ne commémoreront pas le 19 mars.
(*) Militaires algériens ayant servi comme supplétifs aux côtés des Français.