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mercredi 24 mars 2021

Séparer la mémoire et l'histoire

19 MARS 1962 : A un an du 60ème anniversaire du cessez-le-feu en Algérie, comment écrire un long passé commun ?

1962 Des familles de harkis installées au camp de Bourg-Lastic (Puy-de-Dôme)

Article du populaire du centre du 19 mars 2021 / Sophie Leclanché

Il y a 59 ans aujourd’hui, intervenait le cessez-le-feu en Algérie. Il est temps, affirme aujourd’hui Raphaëlle Branche, de séparer histoire et mémoire.

De 2017 à 2021, Emmanuel Macron, candidat puis président, a suivi son cap pour « regarder l’histoire en face de façon sereine et apaisée ». Candidat, il a reconnu que « la colonisation était un crime contre l’humanité » ; président, il a admis que le mathématicien français Maurice Audin, militant de la cause indépendantiste, était mort, sous la torture, du fait de l’Armée française. En janvier dernier, l’historien
Benjamin Stora remettait un rapport, riche de plus d’une vingtaine d’éclectiques préconisations pour parvenir à « la réconciliation des mémoires » sans emprunter au discours de la repentance.

« Pourquoi un président de la République éprouve le besoin de demander un rapport ? », s’interroge Raphaëlle Branche, historienne. « Ce n’est pas pour faire de l’histoire. Il le fait en juillet, un mois particulier pour l’Algérie, c’est le mois de l’indépendance ».

« C’est un rapport – qui était très attendu – intéressant et classique », remarque l’historienne. « Ce qui ne l’est pas, c’est la publicité faite autour de lui ».

Plus encore, « ce qui pose problème », poursuit Raphaëlle Branche, « c’est le diagnostic. C’est l’idée que les mémoires sont en souffrance […] et qu’il faut les soigner ».

L’enseignante en histoire contemporaine à Paris Nanterre poursuit. « Benjamin Stora a été le premier, dans les années 90, à analyser les mémoires, en France et en Algérie », mais « nous n’en sommes plus du tout là parce que beaucoup de gestes politiques ont été accomplis ; parce que la connaissance de l’histoire a beaucoup évolué […] et que le poids des mémoires n’est plus le même ». Et ce n’est pas parce que les témoins peu à peu disparaissent et que la classe politique compte de moins en moins d’élus qui ont vécu cette histoire dans leur chair… Dans les discours, aujourd’hui, « la connaissance a remplacé l’expérience ». 

« C’est une gageure que de s’adresser à tout le monde à travers des propositions pour
faire consensus et en France et en Algérie, et c’est assez voué à l’échec ».

« Sortir des mythes et des fantasmes »

En revanche, il est intéressant de prendre la guerre d’Algérie, reconnue comme telle légalement, en 1999, comme l’achèvement de « 130 ans de présence coloniale ». Sans la colonisation, il n’y aurait évidemment jamais eu de guerre d’Algérie. 

« Il y a des questions qui traversent notre société, qui ont un rapport avec le colonialisme, avec les discriminations, avec les héritages ».

Tout cela ne peut se réduire à la seule mémoire. Mais explorer ce long siècle d’histoire partagée ne peut se faire sans un accès fluide aux archives. Ce que préconise le rapport Stora, avec notamment des échanges entre Français et Algériens. Une avancée que salue Raphaëlle Branche. À ceci près que la
consultation des archives, notamment celles classées « secret-défense », demeure ardue, malgré l’autorisation légale accordée pour les documents de plus de 50 ans et les récentes annonces du président français.

« L’Algérie a été un territoire à part dans l’empire français, historiquement, juridiquement, administrativement et affectivement », affirme l’historienne, sûre qu’il est temps « de sortir des mythes et des fantasmes, de tout ce qui ne sert qu’à l’identité d’un seul groupe ». Il est temps ainsi « de dire ce qui est mémoire et qui n’est pas histoire. De les séparer ».

(*) Auteure de . Éditions La Découverte, 2020. Papa, qu’as-tu fait en Algérie ? Enquête sur un silence familial

Raphaëlle BRANCHE - Historienne
"Le poids des mémoires n'est plus le même aujourd'hui"

 


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