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mercredi 27 novembre 2019

SOUVENIR - Raymond POULIDOR

EXTRAIT DU JOURNAL L’ANCIEN D’ALGÉRIE N° 168 DE MARS 1979

ENTRETIEN EXCLUSIF
RAYMOND POULIDOR EN VISITE A LA F.N.A.C.A

PROPOS RECUEILLIS PAR MICHEL SABOURDY
 
Au cours d'un entretien qu'il a bien voulu nous accorder, Raymond Poulidor découvre avec intérêt notre "Ancien d'A.F.N. Magazine ". A droite, M Gérard Renouard, Directeur des produits à « Manufrance » Saint-Étienne.

Plus souvent appelé " Poupou " par ses millions de supporters, Raymond Poulidor a été adulé des foules pendant 18 années. Son duel avec Jacques Anquetil - que « L'Ancien d'Algérie » avait rencontré en juin 1973 - a jadis divisé la France en deux…
Le nom de Raymond Poulidor est aussi associé depuis peu à la fabrication  d'une série exceptionnelle de vélos « Manufrance ». C'est un vélo comme celui-ci qui sera attribué par tirage au sort dans tous les départements dans le cadre de notre souscription nationale.


Aujourd'hui, retiré de la compétition, Raymond Poulidor rend hommage « au vélo » qui lui a permis de réaliser une carrière exceptionnelle. La liberté, toute relative, qu'il vient enfin de trouver lui permet de faire toutes les choses dont il avait envie pendant qu'il courait d'un bout à l'autre du pays, et qu'il ne pouvait pas  s'offrir :
- Vivre une vraie vie familiale, bavarder avec ses anciens camarades d'école, en sillonnant en touriste les routes du Limousin, se souvenir qu'il est aussi « un Ancien d'Algérie » et venir en parler avec nous.

Michel Sabourdy : Raymond Poulidor, vous êtes né le 16 avril 1936 à Masbaraud-Mérignat (H.V.) (Vous aurez donc bientôt 43 ans). Vous êtes devenu cycliste professionnel en 1960 et votre première grande victoire, Milan-San Rémo, date de 1961, l’année même où vous êtes devenu champion de France. Au tour de France, vous avez été classé : 3ème en 1962, 2ème  en 1964, 2ème  en 1965, 3ème en 1966, 3ème  en 1969, etc... Vous avez eu des places d'honneur beaucoup plus récentes et vous avez gagné plusieurs classiques tels que : la Flèche Wallonne, le Week-end Ardennais, le Grand Prix des Nations, le Critérium du Dauphiné Libéré, etc... et   vous   avez   quand même la deuxième  place  aux  Championnats  du Monde de 1974 à Montréal, derrière le grand Merckx. Qu'avez-vous à ajouter à ce brillant palmarès et quel est votre meilleur souvenir de Champion cycliste ?

Raymond Poulidor : Écoutez, c'est très difficile de définir un souvenir plus qu'un autre. Ce dont je me souviens... J'étais en train de travailler dans mon jardin, il y avait trois mois que j'étais professionnel, je parle de 1960, et puis ma femme écoutait la radio et  elle entend que j'étais sélectionné pour disputer les Championnats du Monde en Allemagne de l'Est, à Karl-Marx-Stadt. J'ai été surpris puisque je ne savais pas du tout que j'allais défendre les couleurs françaises, j'étais pratiquement un inconnu parmi le grand public sportif et je vous assure que j'en retiens un très grand souvenir et c'est peut-être parmi les meilleurs que je rangerais celui-ci.

M S : Vous avez acquis une popularité quasi-exceptionnelle, il faut bien le dire, votre modestie dût-elle en souffrir, et vos admirateurs se demandent, maintenant ce que vous faites et quelle place tient encore le vélo dans votre vie.

R P : Une place énorme. Pour moi, le vélo a été pour ainsi dire ce qui m'a permis de me faire connaître, et, surtout, de côtoyer beaucoup de gens de différents milieux. Cela a été un enrichissement énorme car j'ai été très peiné lorsque j'ai dû quitter l'école primaire après un certificat d'études, à environ 14 ans. Je voulais continuer ces études, mais, comme j'appartenais à une famille pas très aisée, il n'y avait pas les avantages que nous connaissons à l'heure actuelle et, je me souviens, le lendemain de mon certificat d'études, je suis retourné à l'école primaire mais le Directeur m'a fait comprendre qu'il n'y avait pas de place pour moi, qu'il me fallait me résoudre à la réalité et que je ne pouvais plus continuer. J'en ai eu un énorme chagrin. Le vélo cela a été, pour moi, une manière générale de connaître la France, les pays étrangers…

M S : Et aujourd'hui ?

R P : Eh bien, je vais peut-être vous surprendre, mais j'ai toujours beaucoup aimé le vélo, et j'ai toujours pratiqué ce sport avec plaisir, mais aujourd'hui, j'en fais avec beaucoup plus de plaisir. Je m'explique : actuellement je n'ai pas d'horaire, de kilométrage à respecter, et c'est pour cela qu'un soir, s'il fait beau, je fais du vélo vraiment pour ma satisfaction personnelle ; je tiens à dire par conséquent, que je ne fais plus de vélo par n'importe quel temps, comme par le passé (rires). S'il fait froid, s'il pleut, je reste chez moi au chaud. Mais lorsque le temps le permet, j'enfourche ma bicyclette, et là, je ne m'occupe pas si je fais 50, 60, 70 km, je consacre une soirée au vélo, mais le reste n'a pas d'importance.

Je me retrouve alors sur les routes que j'ai connues lorsque j'étais tout gosse et je rencontre des camarades d'école, je m'arrête pour discuter avec eux, ce que, auparavant, je ne pouvais pas faire et qu'ils avaient du mal à comprendre. Évidemment ils me faisaient des grands signes pour que je m'arrête. Mais, vous savez, lorsque l'on doit faire 150 km, l'entrainement de haute compétition est un entraînement très sévère et on ne peut s'arrêter à tous les coins de rues... Mais, maintenant, je peux, et cela me fait beaucoup plaisir.

M S : Que représente pour vous le sport, en général, et pensez-vous que ce soit un moyen d'éducation pour la jeunesse, et plus particulièrement un moyen de formation.

R P : Je crois, oui. D'ailleurs, je crois que la jeunesse peut être formée à travers le sport car, vous savez, celui qui pratique un sport, que ce soit un sport individuel, un sport d'équipe ou autre, c'est une formation qui permet d'aborder la vie, et d'aborder les difficultés de la vie, et souvent, avec succès, et je crois qu'une formation sportive est nécessaire pour la jeunesse à l'heure actuelle.

M S : Demain, vous serez à Sainte- Geneviève-des-Bois, pour inaugurer un Centre de Sport « Raymond Poulidor ». Quel effet cela vous fait-il, d'abord, de voir que l'on a construit un Centre de Sports dans une ville, et, ensuite qu'il porte votre nom ?

R P : Cela me fait beaucoup plaisir, mais j'ai quand même du mal à réaliser. J'ai du mal à réaliser pour une  bonne raison : j'ai été coureur professionnel en 1960, et pratiquement pendant 18 ans, j'ai été chouchouté par les foules, j'ai été très populaire, et j'ai été, pendant 18 ans, un éternel grand espoir pour mes supporters. Je me suis habitué à toutes sortes d'honneur, et je ne sais pas si cela a été un bien pour moi, mais je, réalise quand même maintenant que donner son nom à un Centre de Sports, c'est quelque chose, puisqu'il suffit de feuilleter les dictionnaires pour s'apercevoir, que d'autres personnalités, beaucoup plus importantes que moi, figurent également dans leurs colonnes.

M S : Oui, mais vous symbolisez aussi, peut-être tout autant que d'autres, si ce n'est plus, justement, cette volonté, cette endurance, cette opiniâtreté à vouloir arriver, à vouloir toujours courir, et le fait que vous ayez abandonné la compétition à plus de 40 ans, je crois que cela aussi c'est quelque chose d'assez exceptionnel.

R P : Oui, bien sûr, mais, vous savez, je n'ai fait qu'un sport, après tout, et c'est un sport qui me plaisait. Alors je ne vois pas le mérite que je peux avoir plus que d'autres, et je me souviens, lorsque j'ai eu la Légion d'Honneur, j'ai reçu énormément de courrier, notamment d'anciens combattants et j'avais d'ailleurs répondu à certains, en disant qu'il y avait beaucoup de gens, notamment parmi les anciens combattants, qui méritaient la Légion d'Honneur beaucoup plus que moi, mais j'avais dit : " puisqu'on la donne à d'autres sportifs, je l'accepte et je la mérite autant que d'autres sportifs ".

M S : Que deviennent, en général, ceux qui n'ont  pas eu comme vous malgré une carrière  professionnelle quelquefois bien remplie, la réussite de champion ?

R P : On en revient à la question que vous avez posée précédemment, c'est-à-dire que si l'on peut acquérir une formation à travers le sport... et je pense que tous les anciens cyclistes, en principe, se débrouillent très bien. Vous ne l'ignorez pas, le sport cycliste est un sport extrêmement difficile où il faut se plier à une certaine discipline de vie et je crois que lorsque l'on arrête sa carrière, on est conscient de cela. C'est la réflexion  d'ailleurs, de la plupart des cyclistes qui se disent : " Moi, j'ai fait  une  carrière,  maintenant, je peux faire n'importe quoi et je saurais résister. " Beaucoup de sportifs, beaucoup de cyclistes qui n'ont pas connu une notoriété, qui n'ont pas laissé un nom dans le vélo, ont très bien réussi...

M S : Vous faites partie de notre génération, nous l'avons déjà évoqué tout à l'heure, et nous savons que, comme nous, vous avez vécu la guerre d'Algérie. Voulez-vous rappeler quelles conséquences ont eu ces longs mois d'éloignement et d'épreuves pour votre carrière professionnelle ?

R P : J'ai fait vingt-neuf mois de service militaire : 14 mois 1/2 en Allemagne et 14 mois 1/2 en Algérie, et, pour ainsi dire, pendant 29 mois, je n'ai pas pratiqué la bicyclette. Pour moi, évidemment cela a été une coupure énorme puisque j'ai été " vacciné " avec un rayon de bicyclette comme l'on dit en jargon cycliste. C'est pour cela que je voudrais dire aux jeunes, à l'heure actuelle, qui ont des petits problèmes de début, qu'il ne faut pas se décourager, puisque moi, je me souviens, j'avais cela dans la tête, et même en étant en Algérie, il m'arrivait de faire le régime au point de vue nourriture. Je faisais très attention à ce que je buvais,  la nourriture, c'était quand même très difficile, mais c'est surtout pour la boisson que je faisais attention. Je rêvais de vélo et il me tardait de rentrer au pays pour reprendre la compétition et je me souviens… Je suis rentré le 19 décembre 1958 à Saint- Léonard de Noblat en fin de soirée. Tout de suite, j'ai rendu visite à mon vélo au grenier ; j'ai presque été dire bonjour au vélo avant mon père et ma mère et le lendemain, j'ai fait 100 kilomètres. Cela a été dur, mais j'avais la volonté de reprendre... Je me suis entraîné tout l'hiver dans la neige et le froid. Évidemment, j'ai trouvé que c'était assez pénible, mais ma première course, je l'ai gagné avec 5 minutes d'avance.

M S : Et vous ne considérez pas avoir perdu un peu de temps quand même ?

R P : Je pense que oui, j'ai perdu du temps, c'est certain. Je suis parti au service militaire fin février 1956, j'étais un très bon régional, connu, et j'aurais pu faire, dès 1957 une excellente carrière professionnelle, j'aurais pu faire ce que j'ai fait en 1960, c'est-à-dire que j'ai perdu 29 mois. Mais, vous savez, pour moi, ces 29 mois, c'est peu par rapport à ceux qui ont perdu une jambe...

M S : Pensez-vous quelquefois à la guerre d'Algérie. et quels sont les souvenirs personnels que vous aimez évoquer en famille ou entre amis ?

R P : Vous savez, j'ai peut-être eu beaucoup de chance en Algérie de ne pas avoir de coup dur, et, lorsque l'on est au service militaire, on s'ennuie, on pense à la famille, on pense au pays, et il nous semble que les 14, les 20, les 25 mois vont être éternels, c'est-à-dire qu'ils ne vont plus en finir et maintenant avec le recul du temps, pour moi, le service militaire, je me dis : " tiens, dans le fond, je ne me souviens que des bons moments...".

M S : Vous savez que les " événements " d'Algérie ne sont toujours pas reconnus officiellement comme une guerre et que c'est seulement depuis 1976 que la qualité de combattant est reconnue à ceux qui ont pris part. Que pensez-vous de l'action de la F.N.A.C.A. qui se développe depuis 1968 pour y parvenir ?

R P : Je pense que cela a été, déjà au départ, une action courageuse et on s'aperçoit maintenant que c'est une action absolument indispensable et qui rend des services énormes, mais évidemment, on se pose toujours la question - c'est souvent facile de se poser la question avec le recul – " A quoi a servi cette guerre d'Algérie ? " Je crois qu'il faut féliciter votre association pour le mérite qu'elle a, d'abord d'exister, et d'avoir pris une grande importance et je pense que les adhérents sont contents.

M S : Cette guerre d'Algérie est donc terminée officiellement depuis le 19 Mars 1962 et dans moins d'un mois, maintenant, à l'initiative de notre association, nous allons honorer la mémoire de nos 30 000 camarades qui sont morts au cours de cette guerre. Que pensez-vous de cette initiative ?

R P : Je pense que l'on doit avoir une pensée pour les familles de ces victimes. Il y a ceux qui sont morts et il y a ceux aussi, qui sont revenus infirmes et j'en connais beaucoup, j'en ai côtoyé, et je vous assure qu'ils ont le mérite énorme d'avoir une activité pleine en étant handicapé quelquefois à 100 %. Je vous assure que pour vivre dans ces conditions, pour eux, c'est une forme de vie qu'ils abordent pratiquement comme toute personne qui n'est pas handicapée et je crois qu'il faut leur tirer un grand coup de chapeau. Ce sont des anciens combattants, on est obligé de le reconnaître, on ne peut pas l'ignorer. Je pense qu'il faut se retrancher dans cette idée d'honorer la mémoire des morts et c'est une chose tout à fait normale quand on pense que ce sont, évidemment pour la plupart, des jeunes entre 21 et 22 ans qui ont laissé leur vie. Vous savez, lorsque l'on part au service militaire, quelquefois, on y part gai, on y part triste. Cela dépend des tempéraments, mais on ne sait pas souvent les conséquences que cela peut avoir et on ne savait pas, au départ, les conséquences que cette guerre d'Algérie allait avoir.

M S : Raymond Poulidor, je vous remercie d'avoir bien voulu nous consacrer ces quelques instants. Est-ce qu'il y a quelque chose que vous auriez aimé dire aux Anciens d'Algérie ?

R P : Ce que je pourrais leur exprimer, ce que je pourrais leur dire, c'est que, dans le fond, ils ont beaucoup de chance d'avoir des responsables comme vous, qui ont créé une association qui puisse les défendre et qui puisse dire aujourd'hui: " les Anciens d'Algérie existent ".

Claude Favret : On a parlé tout à l'heure du meilleur souvenir, en tant que professionnel, mais j'aurais aimé connaître quel était le regret de Raymond Poulidor, le plus mauvais souvenir en réalité ?

R P : En fait, je ne peux pas dire que j'ai vraiment un regret. Je crois que ce sont surtout mes supporters qui ont des regrets.


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Raymond POULIDOR participera au tirage de la SOUSCRIPTION à Paris le 15 octobre 79, et procédera au tirage au sort des gagnants des 97 vélos "Manufrance"

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